Vendredi 15 Février 2008
Lettre ouverte d'une mère à Nicolas Sarkozy
Voila que, non satisfait de la glissade morale
effectuée sur la peau de banane Guy Moquêt qu’il s’était à lui-même
étendue comme carpette, Sarkozy prétend « faire en sorte que, chaque
année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se
voient confier la mémoire d’un des 11 000 enfants français victimes de
la Shoah ».
Ma fille sera en CM2 en 2013. Elle porte en elle de par
la grâce de ses parents la mémoire de ces milliers d’enfants, français
et non français, qui au long de l’histoire humaine furent déportés,
séparés des leurs, rendus orphelins, esclaves, choses sexuelles,
assassinés…sur les 5 continents. Et qui le sont encore.
Elle porte en elle la mémoire future de ces enfants
violemment séparés de leurs parents ou familles, ici, maintenant, en
France devant ses yeux de fillette de 4 ans.
Elle porte en elle en tant que future femme, citoyenne,
lionne au combat, la mémoire de tous ces enfants qu’elle aura vus
déportés de son supposé pays de cocagne vers des univers où ils
disparaissent, de tous ces enfants qui n’ont pas d’enfance, en
Palestine, au Liban,... de tous ces enfants marchandés cyniquement, au
nom de l’enfance, au Tchad, ailleur
Ma fille porte en elle tout ceci parce qu’elle est
vivante. Parce qu’elle a un papa et une maman vivants auprès d’elle.
Qui animent son âme autant qu’ils le peuvent de toute l’actualité de
leurs combats, à sa mesure de petite fille, en lui apprenant qu’il n’y
a pas de différence, entre un enfant blanc et un noir, entre un enfant
juif, catholique, sikh, musulman, bouddhiste, que tout enfant a droit
au bonheur d’être enfant, dans la douceur de sa famille, les câlins, le
jeu, les apprentissages.
Ma fille porte en elle tout cela, et elle ne se verra
pas confiée par l’école la mémoire de l’un des 11 000 enfants français
victimes de la Shoah.
Ce travail, qui m’est dévolu en tant que parent, et
qu’il n’appartient pas à mon sens au Président de la République de
choisir de faire à ma place, je l’élabore dans le respect de mon
enfant, et de ce qu’est notre famille.
Il n’y a pas que la Shoah, le Président. Maints
massacres furent perpétrés, maintes mémoires furent et sont encore
blessées qu’il vous semble vain d’honorer, maints enfants furent
déportés et assassinés, dont vous semblez faire si peu de cas, en
d’autres temps tout aussi atroces que celui de la Shoah.
Quel est ce besoin que vous nous démontrez donc là, un
besoin de repentance ? Ce mot que vous refusez à tout crin à ceux qui
ne vous le demandent même pas, mais qui voudraient juste prononcer le
mot de mémoire sans se faire éconduire ?
Qu’allez-vous donc faire dans cette galère ? Quel
besoin de s’aplatir dans le vent d’une seule direction, sous les tapis
du souvenir d’une seule victime ? Vous nous avez suffisamment dit
lorsque cela vous arrangeait que les enfants n’étaient pas comptables
des fautes de leurs pères.
Ma fille ne se verra confier par vous la mémoire
d’aucun enfant d’une seule confession, d’une seule déportation, d’un
seul esclavage, d’un seul massacre.
Ma fille ne sera jamais l’objet de votre manipulation
de l’histoire, de l’émotion, du drame humain au service de vos seuls
biens et besoins personnels, politiques ou autres.
Elle ne croulera pas sous le poids de votre culpabilité
ou de vos obédiences. Elle grandit libre dans sa connaissance de
l’autre, des ses bonheurs et malheurs, grands et petits, auxquels nous
désirons l’éveiller pour qu’elle puisse partager le poids, plus tard,
avec ceux qui souffrent.
Mon enfant, nos enfants, grandissent à présent dans une
France dont mes parents, humains généreux s’il en fut, auraient
profondément honte. Si ma mère n’était pas morte, elle défilerait
aujourd’hui du haut de ses 89 ans, pour vous faire savoir qu’il suffit.
Qu’il suffit de l’outrager.
Qu’il suffit de choisir dans les souffrances humaines
celles qu’il vous agrée d’honorer et celles qu’il vous indiffère
d’ignorer. Quand ce n’est pas celles qu’il vous arrange de rejeter dans
de lointaines poubelles.
Qu’il suffit de gesticuler, justifiant toutes les
exactions de la France dans l’Ailleurs en ne supportant pas que
l’Ailleurs vienne vivre dans la France.
Qu’il suffit de faire la leçon à des enseignants sur ce
qu’il convient de faire partager d’histoire à leurs élèves, alors
qu’ils nous font tous les jours partager, à nous parents, la fin de
l’histoire d’une éducation nationale que vous rendez exangue.
Qu’il suffit de tuer les familles, je pèse mes mots, en
envoyant vos sbires arracher les portes, arracher les affaires
personnelles, arracher les êtres de leur travail, arracher les hommes
de leur famille, arracher les mères de leurs enfants, ce que vous
faites tous les jours, ici, en France.
Quand vous offrirez de la France un autre spectacle aux yeux de nos enfants.
Quand vous cesserez de nous mettre en deuil chaque
matin de l’une des qualités d’accueil, de soin, de solidarité,
d’éducation, de liberté, d’égalité, de fraternité... qui devraient être
la nature, l’essence, la colonne vertébrale de notre pays.
Quand vous vous préoccuperez, aussi, de ce qui se passe
dans une salle de classe lorsque les maîtresse malades ne sont pas
remplacées, au collège lorsque les adultes si dévoués soient-ils à leur
mission, n’y sont pas assez nombreux.
Quand vous proposerez à nos enfants la prise en
considération de toutes les souffrances des humains à travers
l’histoire, sans quantification, sans classification.
Quand vous nous aiderez véritablement à les construire dans le respect de l’autre sous les yeux d’une République exemplaire.
Quand vous tiendrez vos promesses de protéger tous les
opprimés, toutes les femmes opprimées, tous les déshérités, tous les
enfants déshérités...
Quand vous ferez véritablement preuve d’un courage révolutionnaire et visible en cessant les exactions, en ramenant vos chiens.
Quand vous serez capable de ne plus fabriquer
visiblement et incessamment un pathos bien ciblé, d’héroïsme ou de
pitié, c’est tout comme, pour dissimuler la déconstruction de l’humain
et de l’espoir que vous vous acharnez à promouvoir.
Quand vous serez ce que vous n’êtes pas, quand vous ne serez plus ce que vous êtes.
Je cesserai d’être en deuil de mon pays idéal.
Je cesserai de ne pouvoir plus lire les journaux et de pleurer chaque jour à la découverte des nouveaux nuages.
Un grand mal est toujours suivi d’un grand bien.
La citoyenneté profondément humaine, sincère, dévouée,
invisible, muette pour l’instant, s’amplifie chaque jour qui passe avec
son lot d’expulsés amis, de justes condamnés, .
..
La réponse à votre action est dans cette résistance contre laquelle
vous ne pouvez strictement rien.
La pensée et le coeur sont irréductibles.
Ma fille se construit, comme bien d’autres enfants, par
la grâce d’adultes conscients de leur devoir d’"êtres au monde" parmi
d’autres "êtres au monde".
Ces enfants seront des adultes, nombreux et
imperturbables, des lions, auxquels il incombera de développer à une
échelle jamais vue les valeurs de beauté et de bonté de la vie, pêchées
dans le meilleur de chacune de leurs origines, passées au tamis du
métissage, cimentées entre elles par la liberté et l’empathie réunies.
Vous ne sauriez apprendre à mon enfant cela que je choisis de lui apprendre.
Son espoir et sa force sont entre les mains de son père et de sa mère.
Claire Malbos, le 14 février 2008
Vendredi 05 Mai 2006
Les voyages en charter
--> (dédicace à Grand Corps Malade)
Le voyage du r’tour ça sera un voyage en charter
Mais moi, j’ai pas choisi c’est c’qu’a voulu le Ministère
Pourtant moi j’en ai vu, des gens qui voulaient y croire
Qui pensaient que les droits de l’homme c’était un motif pour l’espoir
Les avions décollent et nous reconduisent loin
Loin de l’hisoire d'amour dans laquelle tu te sentais bien
Les témoins, tes potes te font un signe de la main
Et l’avion décolle et avec lui les promesses d’un lendemain
Toi aussi tu leur fais signe et t'imagines leurs commentaires
C’est vraiment trop injuste, c’est vraiment une sale affaire
Ils atteignent leur but, te renvoyer dans la misère
Mais toi tu tu peux rien dire, c’est c’qu’a voulu le Ministère
La noble histoire de France, toi, tu la voyais autrement
Un pays, des valeurs et peut être même des sentiments
Mais toi quoi que tu te fasses, tu n’avais pas la bonne couleur
Tu vois dans ce pays quand on est noir on est voleur
Tu ne l’avais pas vue comme ça la belle idylle républicaine
Tu avais oublié qu’ici on aime beaucoup Le Pen
Tu y croyais et tu rêvais Tu avais même envie de vivre
Tu étais bien naïf, faut pas croire tout c’qu’il y a dans les livres
La magie n’a duré qu'un temps et tu as fini par comprendre
Qu’ici tu n’es qu’un étranger qui n’a que des comptes à rendre
On te soupçonne de tricher, de vivre de la contrebande
Tu ne peux être qu’un agité, un mec qui gravite dans des bandes
Là tu as enfin compris que c'est la fin de ton histoire
Les mecs en bleu qui t’ont serré ne t’ont pas laissé d’espoir
Pour toi ca sera le charter et le retour à bougnouland
Car nous on doit faire du chiffre sinon Sarko il dit qu’on glande
Le voyage du retour ca sera un voyage en charter
Mais moi, j’ai pas choisi c’est c’qu’a voulu le Ministère
Dis moi comment ils font les gens pour se taire devant ces histoires ?
Faire comme si de rien n’était et se resservir un ricard ?
Pourtant c’est notre vie qui était simplement en jeu
Car quitter son pays c’est pas un truc qu’on fait par jeu
Pour nous l’objectif il était temps seulement de survivre
Pas faire sauter la banque et vous démunir de vos vivres
On avait cru les grandes choses que l’on nous disait de la France
Mais on avait mal compris donc on va mourir en silence
On est bien désolés de vous avoir importunés
On va donc s’éloigner Vous nous entendrez pas crever
Si le caprice de l’électeur vaut plus que la vie d’un homme
Alors flattez le bassement, prenez le dans le sens du poil
Et méprisez les êtres humains dans votre marche vers la gloire
Un étranger à expulser c’est p’t-être un pas vers l’Elysée
Y a ceux qui disent que c’est injuste et qui veulent se révolter
Se motiver et se bouger pour que les choses puissent changer
D’associations en collectifs, de groupuscules en comités
Mais n’oublie pas qu’à l’Assemblée eux ils ont la majorité
Mais si tu veux pas que ça dure, les souffrances, inhumaines tortures
Y a bien des mots à balancer, y a tellement de choses à dire
Fais toi entendre, faut qu’on t’écoute et tu peux te faire respecter
Ta carte d’électeur est utile A toi d’savoir l’utiliser
Pour moi il est trop tard l’avion a déjà décollé
Mais il en reste d’autres qu’on pourrait encore sauver
Alors fais ce qu’il faut, barre le passage à l’autre minus
Maint'nant tu es prév'nu, la prochaine fois tu voteras juste...
Mercredi 21 Septembre 2005
Les mains periscopes
Nb : ce texte n'aurait pas pu être écrit sans l'aimable concours des agents ratp de la station colonel fabien qui, quand on leur demande gentiment, peuvent donner des stylos
Huit ans. Huit ans ou peut-être neuf. Elle doit avoir mon âge. A peu de choses près. Je l'ai à peine aperçue. Tout à l'heure je la voyais presque clairement mais le moment n'a pas duré. A peine l'avais-je remarquée qu'un flot de voyageurs débarquait dans le wagon.
Ils sont grands. Nombreux. Ils prennent toute la place. Ils ouvrent grand leurs journaux. Ils posent leurs grandes carcasses au milieu du passage. Ils prennent toute la place. Elle doit avoir huit ans. Peut-être neuf. Elle est blonde. Elle était blonde avant qu'ils n'arrivent. Elle souriait. Je crois qu'elle souriait. Elle me souriait. Elle était blonde. Ils prennent toute la place. Ils mesurent au moins deux mètres. Ils sont sérieux. Ce sont des adultes. Ils sont importants. Ils prennent toute la place. Leur journaux prennent toute la place. Là bas je l'aperçois. C'est sans doute elle. Ses cheveux blonds. j'ai cru voir des taches de rousseur. Elle me souriait. Ils sont arrivés. Ils sont arrivés et elle a disparu. Ils sont mille. Ils sont grands. Ils prennent toute la place. Elle était blonde. Elle était là. En face de moi. Elle me souriait ? Ils sont sérieux. Ils sont sombres. Ils prennent toute la place. Ils ne me voient pas. Ils ne savent pas que je l'ai vue. Que je voudrais la voir. La voir. Savoir si elle me sourit encore. Si elle a des taches de rousseur. Ils sont grands. Ils prennent toute la place. Je ne la vois plus. Je ne la vois plus. C'est injuste. Elle était jolie. Elle était blonde. Je crois. Ils sont grands. Ils prennent toute la place. Ils ne nous remarquent pas. Huit ans. Peut-être neuf. Elle doit avoir mon âge. Je voudrais la voir. Mais ils prennent toute la place. Tant pis. Je veux la voir. Alors j'essaie. A tout hasard. Comme ça pour voir. Elle n'est pas loin. De l'autre côté de l'allée. Mais ils sont grands. Ils prennent toute la place. Mais j'essaie. Je tend la main. Le bras tendu. Au dessus d'eux. Au dessus des grands. Ma main. Comme la tête d'une autruche. Une autruche de huit ans, peut être neuf. Une autruche qui cherche, qui regarde. Au delà des grands. Par dessus les grands. Un périscope. Un sous marin. Comme ça, pour voir. Ils sont grands. Ils prennent toute la place. Elle doit avoir huit ans. Ma main. Comme un périscope. Mais ça marche. Je la vois. Ma main. Comme un périscope. Je la vois. Au dessus des grands. Elle ne me voit pas encore mais je souris. Ma main. Comme un périscope. Elle la remarque. Elle sourit, elle a compris. Elle tend la main. Elle tend le bras. La tête d'une autruche. Comme un sous marin. Elle me sourit. Elle me voit. Elle doit avoir neuf ans.
Vendredi 01 Juillet 2005
Salut l'artiste !
Hier, un grand homme s'en est allé. Rassurez vous, il n'est pas mort ; il s'est juste éclipsé sur la pointe des pieds. Avec la discrétion qui le caractérise, il a préféré ne pas informer tous ses collaborateurs de son départ. Avec humilité, il a considéré que le compte-rendu placardé sur le mur ferait office de faire part. Cet homme était mon chef et si je peux en parler au passé c'est qu'il ne l'est désormais plus.
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Jeudi 23 Juin 2005
Chantier
Il y a quelques mois, la propriétaire de mon appartement m'informait de sa décision d'augmenter le montant du loyer. Même si la nouvelle ne m'enchantait que très relativement, elle était dans son droit puisqu'elle se contentait d'appliquer la hausse légale indexe sur le coût de la construction et qu'elle ne l'avait pas fait les années précédentes. Je lui envoyai alors un courrier où je prenais acte de cette augmentation et où j'évoquais des travaux que j'envisageais de faire dans ledit apparement.
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Jeudi 13 Janvier 2005
J'irai cracher sur vos bombes
--> Encore un texte retrouvé dans un carnet
J'irai cracher sur vos bombes
Pisser de joie sur vos canons
Quand dans une odeur de rouille
On visitera les entrepots
Vestiges putrides
Mort cryogénisée
Des souvenirs de cris
D'éclat d'obus
De déflagrations
De mortier
Mines antipersonnel
Tout hors d'usage
Out of order
C'est la pause
On enferme tous les generaux
Dans des hostos
Parce qu'on est des démocrates quand même
On enferme tout dans le placard
Et on jette la clé
Boite de Pandore
Et qu'on ne retrouve pas trop tôt
Les odeurs de mort
Vendredi 10 Décembre 2004
Télévision
--> Un texte retrouvé dans un carnet
Manivelle
A tours de bras
Ouvre la fenêtre et la moulinette commencera
Lucarne bienveillante posée sur la commode
Avec la photo de pépé sur le napperon.
Aussi fidèle que l'horloge
Précise, ponctuelle, efficace
Amie des solitudes
Compagne compatissante
Histoires Naturelles embrumées
Lumière !
Béton
Maçonnerie
BTP, Téléphonie mobile
Contrats continentaux Stock options dividendes
Profit Essor Rebond
Des boulimies de fric Des envies de glouton
De rapprochements en OPA
Générer du profit Placer haut l'actionnaire
Vénérer le profit
C'est mieux de les faire taire, les gêneurs, les badauds
Et de les abrutir à grands coups de ragots
De contre vérités en interviews pipeau
Gruger la populace en jouant les héros
Les experts Les esthètes
Lumière Moteur Bravo
(Eblouir le spectateur comme un hérisson sous plein phares de twingo)
Amie
Traîtresse
Témoin de mille drames
Devenue sympathique au fil des nuits sans mire
Menteuse, hypocrite et corrompue aussi
Vendue aux marchands d'armes, aux bandits, aux escrocs
Machine à broyer les cerveaux
Faire taire les gêneurs
Parler d'une seule voix
Jean Marc Sylvestre, bonsoir
Jeudi 18 Novembre 2004
Fleur des yeux
Ce matin, métro, encore embrumé de sommeil, je me laisse porter, Nouvelle Vague dans les oreilles.
Entre une jeune femme, 25 ans tout au plus. Elle porte un jilbab (ou un tchador, je ne suis pas un expert). Son corps disparaît totalement derrière le tissu noir ne laissant apparaître que son visage, sa peau légèrement ambrée, sa bouche joliment dessinée et l'esquisse d'une fossette sur sa joue. Je ne parviens à détacher mon regard de la jeune femme. Contrairement à ce qu'elle pourrait éventuellement imaginer, ce n'est pas sa tenue qui retient mon attention mais sa présence, son aura, son humanité. Peut-être a-t-elle remarqué, senti le poids de mon regard ? Soupçonne-t-elle ce qui me fascine chez elle ? S'imagine-t-elle que je la prend pour une kamikaze ou que je suis heurté par sa foi ? Sur le moment, je suis à mille lieues de me poser des questions intelligentes sur la laïcité ou l'intégration ; je me contente de regarder la jeune femme, son regard qui pétille, virevolte puis se fige dans une expression mélée d'ennui et de sérénité. On dit que le noir va a tout le monde, son costume entièrement noir lui va à merveille. Au delà de sa signification religieuse, sa tenue est un écrin où étincellent ses yeux, sa jeunesse, sa fraîcheur, sa vie. Elle est jolie tout simplement.
Après quelques minutes, la jeune femme se déplace vers un endroit plus confortable. Elle s'assied en face de moi mais un peu plus loin. Je ne la vois plus de la même manière. Son regard a disparu, masqué par la barre métallique horizontale qui prétend être un appuie tête. La jolie voyageuse n'est plus là, elle a disparu. Sur la banquette une étrangère a pris sa place ; son regard n'existe plus. Elle est devenue une femme sans regard, une de celles dont on brouille les yeux à la télévision pour protéger leur sécurité, une de celles dont le salut réside dans la déni, dans l'abandon de ce qu'elles sont, de ce à quoi elles aspirent, une femme sans sourire, une femme sans espoir.
Le contraste est saisissant. La douce beauté s'est tue pour laisser place à l'austérité. C'était dans ses yeux que se trouvait la clé, dans ses éclats que triomphait son humanité.
Sur les dernières minutes du trajet, je n'ai plus croisé son regard. Elle a tourné la tête sur le côté ; à travers la vitre, ses yeux ont longé le canal au fil des tags et des grafs pendant de longues minutes. Curieux dialogue, étrange confrontation entre les expressions éclatantes et multicolores et son mutisme monochrome. Histoires d'humanité. C'est dans les yeux que se trouve la clé.
Lundi 05 Juillet 2004
Histoires de nuages
--> un conte
Enfant, j’ai toujours posé beaucoup de questions. Il fallait que je comprenne. Apparemment, les adultes savaient. Ils pouvaient ma répondre. Je comptais sur eux pour m’expliquer tout ce qui se produisait autour de moi. Je posais des questions. Je voulais comprendre. Parfois les réponses étaient évidentes, d’autres fois je voyais bien que mes parents étaient embarrassés et qu’ils ne savaient pas quoi dire. Je regardais autour de moi. Tout me semblait curieux, étrange.
Depuis toujours, j’étais fasciné par le ciel. J’y avais observé des phénomènes incroyables. Après la pluie, je voyais parfois se dessiner un arc multicolore. Il s’étendait à l’horizon puis disparaissait sans un bruit. La nuit, une multitude d’étoiles s’allumait et éclairait doucement ma chambre les nuits d’été, quand on laissait les volets ouverts. Toutes ces lueurs m’émerveillaient. J’y voyais des soleils, des lampes magiques, des lucioles fantastiques. Quand je me réveillais, les étoiles avaient disparu. Elles avaient cette curieuse habitude de fuir le jour, de ne se montrer que la nuit. J’y percevais de la timidité, une fragilité qui leur faisait craindre l’éclat trop violent du soleil.
Dans le manège du ciel, je m’intéressais aussi aux nuages. J’aimais leur ballet. J’aimais comme le ciel pouvait s’emplir doucement de coton, comme il devenait un terrain de jeux pour ces colosses moutonneux, ces géants fragiles et délicats.
Je n’avais aucune idée d’où pouvaient venir les nuages. J’avais interrogé mes parents à ce sujet, mais j’avais bien compris qu’ils n’avaient pas de réponse satisfaisante à m’apporter. Je les sentais gênés, confus, perplexes. Apparemment, ils ne le savaient pas. Je décidai donc de me faire une idée par moi-même et je commençai à me plonger dans le ciel, en quête de la clé du mystère.
Un événement se produisit qui me mit sur la voie. Le jour, de mes 6 ans, une fête avait été organisée en mon honneur dans le jardin familial. C’était la première fois qu’il m’était permis d’inviter quelques camarades. C’était ma fête, mon grand jour. Je n’avais qu’une crainte : si le temps était trop mauvais, mes parents prévoyaient d’annuler les réjouissances et de les reporter à une date plus clémente. Ça n’était pas possible. Je le savais, c’était la dernière fois que je pouvais inviter la douce Joanne dont j’étais secrètement amoureux. Quelques jours plus tard, elle partait avec ses parents à l’assaut de la Méditerranée et je n’étais même pas sûr de la retrouver à la rentrée. Il fallait que le temps se prête à mes projets, que le soleil accepte d’être mon allié.
Dès mon réveil, j’inspectai le ciel à la recherche d’éventuels nuages susceptibles de gâcher ma fête et ma vie sentimentale. Apparemment, tout se présentait bien ; le ciel était parfaitement bleu et je n’avais rien à craindre des éléments. Pourtant, quelques minutes plus tard, le drame tant redouté semblait sur le point de se produire. Un nuage tout rond se précipitait à toute allure en direction du soleil, apparemment bien décidé à le faire disparaître. Cette seule idée me glaçait et je sentais déjà mes rêves se volatiliser. Mes parents allaient annuler la fête, je ne verrais pas Joanne et elle partirait dans le Sud sans m’avoir embrassé, tomberait, là-bas, amoureuse d’un autre et ne reviendrait plus jamais dans nos contrées tristes et nuageuses.
Je ne parvenais pourtant pas à me faire à cette idée. Il fallait que je trouve une solution. Je regardai le nuage rond de toutes mes forces et essayant de le convaincre d’annuler ses sombres desseins. Plus je me concentrais et plus j’avais l’impression que ma lutte pouvait servir à quelque chose. Le nuage rond semblait dévier sa course, comme s’il acceptait de changer ses projets pour me satisfaire. Je n’osais pas vraiment y croire, mais après tout, ce n’avait que peu d’importance. L’essentiel était désormais acquis : le nuage rond ne s’attaquerait plus au soleil, il semblait s’être rangé à mes arguments et me faisait le cadeau de sa clémence.
Quand Joanne pénétra dans le jardin, le nuage rond m’avertit immédiatement de sa présence. Il se transforma doucement, prenant la forme d’un cœur. Je ne pus m’empêcher de sourire et je rougis un peu en comprenant que le nuage n’ignorait rien de mes élans. Plus tard, beaucoup plus tard dans l’après-midi, lorsque je me retrouvai seul avec Joanne sous le pommier familial, à l’abri des regards, mon ami nuage me donna la force de m’approcher d’elle et de déposer un baiser sur ses lèvres. Je me sentais fort, soutenu par un allié hors du commun. Si le ciel était à mes côtés, rien de fâcheux ne pouvait m’arriver. Joanne ne savait rien de l’histoire de mon nuage. Je ne sentais pas utile de la lui raconter, de peur qu’elle ne me croie pas ou qu’elle pense que je mentais pour m’attirer ses faveurs. J’étais aux anges : j’avais osé embrasser Joanne et j’avais un ami dans le ciel.
Dans les jours qui suivirent, je passai mes journées, les yeux au ciel à observer, analyser le mouvement des nuages, à essayer de comprendre leur nature, leurs intentions. À force de persévérance, je commençai à avoir des réponses.
Les nuages que l’on voit sont toujours les mêmes. Ils tournent autour de la terre et reviennent toujours là où ils sont passés. On peut les voir évoluer, grandir, changer au fil du temps.
Quand un nuage passe, en se concentrant, on peut lui donner une nouvelle forme. C’est quasiment imperceptible. Il faut être patient, très patient, mais on peut les modeler au gré de ses envies. Souvent les nuages disparaissent avant qu’on ait fini de les sculpter mais ils reviennent toujours, alors on peut reprendre son travail au passage suivant.
Parfois, plusieurs personnes, à différents endroits du monde, façonnent le même nuage, unies par une même volonté. Ce sont les plus beaux nuages, ceux qui naissent du désir de plusieurs.
Depuis que j’ai compris que l’on peut modeler les nuages, je m’entraîne. Ma première réussite a été un lapin. Plus vrai que nature. Très satisfait de mon œuvre, je m’étais amusé à lui faire plier une oreille pour faire signe, pour dire bonjour, pour dire qu’il était prêt. Mon lapin avait plié l’oreille, m’avait regardé puis s’était élancé. Je n’aurais pas imaginé qu’il puisse être aussi rapide. Il s’était allié à une bourrasque et avait disparu d’un bond. Je n’en croyais pas mes yeux. Il était déjà loin. J’étais très fier et même pas triste de voir disparaître mon nouvel ami. Je savais qu’il reviendrait après son tour du monde. Et qu’il aurait plein de choses à me raconter. Il aurait sans doute changé, sous les douces caresses de ceux qui auraient reconnu leur lapin. Je l’imaginais flotter au-dessus des montagnes, traverser les océans, faire courir son ombre sur des plaines ensoleillées. Mon lapin existait. Le nuage s’y était reconnu. J’étais un magicien. J’avais fait sortir un lapin du chapeau. Pour la première fois, j’avais dessiné dans le ciel.
(A suivre)
Mercredi 18 Février 2004
Poème pre(sque)-revolutionnaire
--> Pinault simple fric
Les tracts jonchent le sol ;
on les a dispersés
Les vigiles sous-payés exécutent les ordres
et ramènent la boutique à la sérénité.
On a jeté dehors les semeurs de desordre.
D'ici quelques semaines, ils seront licenciés.
Ca fait deja un mois que gronde la revolte
et qu'on entend fremir
les gondoles, les travées :
On venait de comprendre qu'on nous avait trompés
et qu'ici notre sort était d'être exploité.
On en a eu asez de gaver l'actionnaire,
générer du profit sans en bénéficier
et puis un jour comme ça, se faire mettre à la porte.
L'auto du fonds de pension veut plus de cylindrées,
l'actionnaire veut aussi prolonger ses vacances
et puis allegrement dépenser la monnaie
qu'à la sueur de ton front
Tu lui as fait gagner.
Alors on a voté et on a fait la grève,
car nous aussi les fruits
goûteux de la croissance,
à notre faim enfin
on voudrait en croquer
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Carnets retrouvés Volume 1
--> Expulsions
L'arbitre brandit le carton rouge. La faute semble indiscutable. Les deux pieds étaient décollés du sol. Le tacle est irregulier. Piteux, le défenseur prend conscience des consequences. Ses coequipiers vont devoir terminer la rencontre à dix. Les chances de qualification s'amenuisent et il en est l'unique responsable. Il regagne le vestiaire, lentement, en posant son regard à quelques centimètres de ses pieds. Les gravillons s'envolent à chaque pas. Ils retombent comme autant de ricochets. Aucun regard vers le banc de touche, il pénètre dans le tunnel. Le vestiaire est vide et silencieux. On est loin de l'euphorie des soirs de victoire.
Il s'assoit sur le banc et défait mécaniquement les lacets de ses chaussures. Le coach avait été clair. Ce match était décisif. Si son comportement n'était pas à la hauteur, il pouvait dire adieu à l'equipe et il serait alors temps de penser à la reconversion. C'était sans doute le match de trop.
Loin aussi la joie des premières titularisations, des premiers buts, des coups de graâce ou de genie. Il était trop vieux comme lui avait lancé un minot du centre de formation qui l'avait envoyé au tapis dans un duel physique au cours de l'entrainement. Il fallait raccrocher les gants, tirer un trait définitif sur les espoirs de sélection nationale, de transfert myrifique. Le film était fini.
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Mercredi 11 Février 2004
D'autres manifs sont possibles
Sur la place, un petit groupe d'italiens dessinait à la craie. Les fleurs envahissaient le pavé. Pacifiquement. Sur leurs visages, ils avaient fait briller des soleils radieux et souriants. Au son des tambours, leur cercle s'élargissait petit à petit, intégrant de nouveaux visages, de nouveaux sourires. A côté de moi, une jeune femme dansait. Sur sa joue gauche, le soleil étendait ses rayons, lui dessinant une douce moustache, caressant son profil. Si des rôles précis avaient été attribués aux différents membres du groupe, elle était manifestement en charge du sourire. Elle s'acquittait merveilleusement de sa tâche, dispensant ses sourires comme autant de douces promesses de lendemains qui dansent.
Je ne pouvais détacher mon regard, lui trouvant toujours plus de charme, toujours plus de grâce au soleil sur sur sa joue. Sunshine Sister. Fraternellement, j'aurais eu envie de poser ma joue contre la sienne pour sentir sa peau, réchauffer la mienne à son soleil. Le processus agissait déjà. Je commençais à sentir la chaleur. La sienne, celle de nos espoirs communs, de nos envies légères et vagabondes. Du rêve, du bonheur. Ma soeur disparaissait presque, se dissipait dans les voluptueuses volutes. Elle ne s'éloignait pas. Peut être n'avait elle même jamais vraiment existé mais elle avait été présente ; elle avait été le présent. Au centre du cercle, des jongleuses faisaient virevoleter des chaînes metalliques, des massues d'échangeaient, des balles tombaient. Et on les ramassait. Vu de loin, on aurait sans doute eu l'impression que la légereté avait définitivement triomphé, prenant le pas sur le gris. Il flottait dans l'air quelque chose d'irréel, d'improbable mais de possible, de possibles. Une présence, des futurs. Place de la République - Paris - 15 novembre 2003